A la fois ustensiles inévitables lors des repas et symbole culturel fort, les baguettes ont un impact plus riche qu’on ne le pense sur la société vietnamienne.
Origines légendaires | Origine historique | Les baguettes dans la culture vietnamienne | A table | Idées de visite
Si ses origines ne sont pas clairement établies (peut-être en Chine, il y a 5 000 ans ?), il semble admis que leur apparition soit liée à la civilisation rizicole.
Deux légendes – ou pas - chinoises illustreraient cette origine :
Yu le Grand a été l’empereur fondateur de la première dynastie chinoise, les Xia. Avant d’occuper ce très respectable poste, c’était un grand travailleur, qui ne rechignait ni à la tâche, ni ne comptait ses heures de labeur. Il était très courant qu’il soit obligé de manger sur le pouce entre deux chantiers. Obsédé par le boulot, il tenait à manger le plus rapidement possible. Un jour, on lui servit un délicieux bouillon avec d’appétissants morceaux de viande. Manque de bol – c’est le cas de le dire – ledit bouillon était brulant, impossible de saisir avec les doigts cette garniture si tentante, en attendant qu’il refroidisse. Dépité, son regard tombe sur de jeunes pousses de bambou pointant innocemment leurs jeunes branches. Ni une ni deux, il les arrache et les utilise pour enfin manger sa viande. Les baguettes étaient nées.
On vous passe les détails des 13 années de sa vie qui suivirent, pour arriver au moment où – consacré empereur – il fait généraliser l’utilisation des baguettes dans l’Empire du Milieu pour la simple et bonne raison que selon lui, elles permettent «de réduire le temps perdu à manger et à se laver les mains». Probablement un tantinet parano en ces temps troublés, il fera aussi interdire les couteaux sur table, pour ne laisser que cuillères et baguettes. C’est depuis lors que «L’homme honorable se tient loin de l’abattoir et des cuisines et ne tolère aucun couteau à table».
La deuxième légende met en scène le roi Zhou. Sale caractère doublé d’un redoutable et fin gourmet, le personnage aurait fait trucider plusieurs de ses cuisiniers soi-disant incompétents. Une de ses concubine – prise de compassion pour la noble corporation des marmitons – s’était même proposée de gouter les plats avant chaque service. Un jour, ce roi au prénom expéditif commande une soupe bouillante. Pour que son seigneur ne se brule point, la concubine utilise deux de ses baguettes pour les cheveux et retire les aliments afin que le bouillon refroidisse plus vide. Les baguettes étaient nées. Le roi plutôt stupéfait du résultat de cette improvisation fait faire des baguettes de jade pour son usage personnel, puis fera diffuser son utilisation dans tout l’Empire du Milieu.
Cette notion de couvert = danger développée a priori par Yu le Grand a été reprise par Confucius, qui associait couteau et fourchette à la violence, en tant qu’accessoires mortels. Ils étaient donc à bannir de la table et les aliments se devaient d’arriver déjà découpés. Ce qui est toujours d’actualité. D’ailleurs, ne dit-on pas «On se met à table pour manger, non pour découper des bêtes» ?
Les experts ont une autre version de la naissance des baguettes. Ils en situent la naissance au 16ème siècle en Chine, sous la dynastie Shang. Elles étaient de simples accessoires de cuisine qui servaient à maintenir le feu. Puis il fut un temps où les ministres des finances eurent l’idée de taxer le métal, on se tourna alors d’autres matériaux (Bambou, porcelaine, ivoire…). Puis progressivement, pour ne pas avoir à se bruler en mangeant, les baguettes furent utilisées pour prendre les aliments, une habitude qui s’est popularisée à partir du 3ème siècle dans toute l’Asie. Au fil du temps, chaque pays a développé les caractéristiques de ses baguettes ; on a donc aujourd’hui des baguettes chinoises (kuàizi), coréennes (jeotgarak), les thaïlandaises (takìap), vietnamiennes (đũa) et japonaises (hashi).
Si manger avec les mains est représentatif des peuples cultivant du millet, de l’orge et mangeant du pain, les baguettes appartiennent à ceux qui habitent dans un environnement où le bambou pousse en quantité au milieu des rizières. Les baguettes sont alors indispensables pour se servir des grains de riz et des petits poissons comme le ferait un oiseau avec son bec, elles sont les symboles même de la civilisation rizicole.
La culture du riz en terrasse implique une solidarité et une discipline qui se développeront au sein de villages qui deviendront au fil du temps les bases de la culture vietnamienne. Ce regroupement peut se retrouver symboliquement dans les plats eux-mêmes : la nourriture n’est pas proposée dans des assiettes individuelles, mais dans une multitude de petits bols dont on piochera le contenu grâce aux baguettes.
L’image de la solidarité aussi se retrouve dans Đôi Đũa, les baguettes : une histoire relate qu’un père enseigna à son fils qu’une baguette seule peut facilement être brisée en deux, alors qu’un paquet de baguettes ne peut être rompu. Ainsi «Une baguette est facile à casser, mais dix baguettes ensemble sont aussi dures que le fer».
On voit aussi dans une paire de baguette une allégorie du couple, comme dans cette chanson populaire :
«Le mari et la femme sont comme une paire de baguettes.
Si le mari est petit, et que la femme est grande
On dirait une paire de baguettes disproportionnée
Vous avez beau les mettre en paire
Jamais il n’y aura d’équilibre»
Et ne dit-on pas «Une femme stupide vaut mieux qu’une paire de baguettes disproportionnée» ?
Vecteurs de convivialité, les baguettes sont aussi témoignage de respect et d’affection entre les membres de la famille au Vietnam. Du temps où elles étaient faites artisanalement par les familles, leurs tailles n’étaient pas uniformes. La coutume – toujours vivace – demande donc que les plus jeunes de la tablée comparent (So Dua) les baguettes et les distribuent ensuite respectueusement aux autres membres de la famille. Les baguettes permettent aussi de choisir les meilleurs morceaux et de les mettre dans le bol des anciens, toujours par affection et respect… Affection respect, partage… les baguettes c’est tout cela autour d’une table (ou sur une natte) !
Peut-être ne le savez-vous pas, mais il existe plusieurs sortes de baguettes au Vietnam. Celles qu’on utilise à table bien entendu, mais si vous allez en cuisine, vous en verrez des plus longues, des plates… Et puis, vous verrez aussi lors de votre séjour au Vietnam qu’elles diffèrent selon les régions : les villages du Nord sont parmi les bambouseraies, vous trouverez donc des baguettes dans ce matériau. Elles sont un peu plus courtes que celles du Sud, pays des cocotiers dont on fait aussi des baguettes. Pour information, les baguettes coréennes sont généralement en métal, celles en plastique ou en bois sont souvent chinoises alors que le Japon utilise des baguettes en bois laqué.
Manger est aussi un rituel au Vietnam, dont voici quelques pratiques typiquement vietnamiennes :
• Attendre que la table/natte soit dressée en totalité : tous les plats sont au centre pour que chacun y ait accès, pas la peine de se précipiter.
• Attendre que les personnes les plus âgées aient commencé à manger, pour leur montrer votre respect.
• Passez votre bol en utilisant vos deux mains. Il n’y a aucune gêne à demander à être resservi, mais remerciez toujours votre hôte !
• «Il faut regarder le fond de la casserole avant de se servir». Autrement dit, le convive peut se servir à volonté, à la seule et unique condition non négociable qu’il reste de la nourriture en quantité suffisante pour tout le monde, ce qui revient à dire qu’on ne prend pas le dernier morceau.
• Ne pas remplir son bol à ras bord. On se sert en petites quantités qui d’ailleurs ne vont pas directement dans la bouche mais font étape dans votre bol.
• Ne pas planter verticalement ou croiser les baguettes dans votre bol de riz ou les frapper sur le bol, ce sont des gestes réputés porter malheur
• Si vous mangez du poisson, ne jamais le retourner, cela aussi porte malheur
• Il est très impoli de pointer ses baguettes vers quelqu’un
Lors de votre prochain voyage au Vietnam sur mesure, demandez à visiter par exemple Tan Son (district Ninh Son, province Ninh Thuan) dont les baguettes laquées sont très prisées. Si vous êtes dans la région du Delta du Mékong, Province de An Giang, le village de Phu Hiep est un incontournable si vous souhaitez en savoir plus sur les étapes de fabrication de cet incontournable ustensile.