Connue essentiellement pour son littoral avec ses plages et ses iles, la Province de Binh Dinh recèle dans son arrière-pays de fascinants vestiges cham, cette civilisation un peu mystérieuse, aujourd’hui disparue. Les tours de Banh It et de Duong Luong en sont les plus spectaculaires et les plus connues, mais il y en a bien d’autres !
Une légende de l’ethnie Cham raconte qu’une jeune paysanne du nom de Po Nagar, originaire de la province de Khanh Hoa au Vietnam, dériva en mer sur un morceau de bois de santal. Echouée en Chine, elle maria le fils de l’Empereur qui la nomma reine du Champa. Mais nostalgique du pays (ou ne supportant plus la charge de son mariage, on ne le saura jamais), elle décide de retourner dans son royaume sur son fidèle morceau de santal. Furieux, le fils de l’Empereur met le cap vers le royaume Champa pour récupérer sa femme, mais elle le change, lui et sa flotte, en pierre. Voilà comment serait né le royaume de Champa.
Il semblerait que les choses aient été un peu plus compliquées… Ce royaume serait en réalité né lors de la chute de la dynastie Han en Chine. Entre les 2ème et 15ème siècles, la civilisation du Champa s’est épanouie dans ce qui est aujourd’hui le Centre du Vietnam et un peu dans le Sud, aussi. Grace à des contacts très anciens avec l’Inde et les royaumes indianisés de l’Océan indien, au début de notre ère, les Cham ont adopté les fondements de la civilisation indienne dont l’écriture et les religions : on écrit en sanskrit et on vénère Shiva, tandis que la société se structure autour de castes. L’un des meilleurs exemples de cette influence est sans aucun doute le sanctuaire de My Son qui restera l’un des cœurs religieux du royaume pendant plusieurs siècles. Du 8ème au 10ème siècle, le royaume de Champa vit un véritable âge d’or, malgré les conflits avec les royaumes Javanais, Khmers et du Dai Viet. La capitale d’Indrapura (près de l’actuelle Da Nang) est un véritable cœur économique et politique qui se développe parallèlement à Angkor. C’est vers la fin du 10ème siècle que l’islam sera introduit dans la culture cham, notamment par l’intermédiaire des marchands venus du Moyen-Orient. De nos jours, les Cham représentent une ethnie minoritaire, essentiellement repartie sur les provinces de Binh Dinh, Phu Yen, Khanh Hoa, Ninh Thuan, Binh Thuan (au Centre) et Dong Nai (dans le Sud).
« Terre des arts martiaux et de la littérature », la Province de Binh Dinh a été l’épicentre de la culture cham pendant 5 siècles. De fait, la Province recense dans son patrimoine architectural 14 tours éparpillées sur son territoire et divisées en huit groupes : Banh It, Duong Long, Thap Doi, Canh Tien, Phu Loc, Thu Thien, Binh Lam et Hon Chuong.
Construites sans utiliser de mortier, elles datent de la fin du 11ème siècle, début du 12ème. Leur construction se serait achevée au 15ème. Elles se trouvent dans la ville de Quy Nhon et sont classées sur la liste des vestiges historiques et culturels nationaux depuis 1980. Restaurées en 1996, elles se distinguent par leur architecture originale, en forme de pyramide arrondie. Il faut savoir que les tours cham vont généralement par trois grandes tours et non par deux. Les deux présentes ici sont décorées de bas-reliefs finement sculptés, représentant des oiseaux et des animaux sacrés. Autre particularité, tenant à la période de leur construction – contemporaine d’Angkor Wat - elles ne présentent pas une structure de tour carrée à étage, mais une base – un corps – carré, coiffé d’une pyramide de forme courbe. L’influence khmère se remarque également aux angles, avec la représentation du dieu Garuda aux bras levés. L’intérieur de la grande tour préserve les deux symboles Linga et Yoni à travers l'icône du mortier et du pilon pilant le riz.
Vous trouverez les tours jumelles, également connues sous le nom de tours Hung Thanh, à 3 km au nord-ouest du centre-ville de Quy Nhon, juste à côté du pont enjambant le bras de la rivière qui coule du lac Deo Son à la lagune de Thi Nai, sur la route nationale 19.
Dans le district de Tuy Phuoc, à 25 km de Quy Nhon, au sommet d'une colline offrant une vue panoramique sur la région, les quatre grandes tours de Banh It ressemblent – vues de loin – à un petit gâteau typique de Binh Dinh, d’où le nom de Banh It. Erigées au 11ème siècle, elles font face à l’Est – comme la plupart des tours cham. Pour y accéder, partez de la porte nord-est de la colline, puis empruntez la route aménagée et ses escaliers. La tour la plus élevée, le kalan, dite aussi tour d'Argent, a une hauteur de 22 m. Richement ornée, on y trouvait autrefois une superbe statue de Shiva en grès rose, aujourd'hui conservée au musée Guimet, à Paris. Elle est accompagnée de 3 petites tours, l’ensemble créant une sorte de monde à part, hors du temps. Juste à côté de la tour principale se trouve la petite tour appelée Yen Ngua, dont la courbure du toit fait penser à une selle de cheval, d’où son nom. La particularité ici est que la base de la tour est plus large que le corps et est sculptée de symboles représentant des bras qui soulèvent la tour. Au Sud se tient une autre petite tour, percée de 4 ouvertures donnant sur les 4 points cardinaux. Et enfin, la plus éloignée est la tour de la porte, en contrebas, dont le dôme fait penser à un javelot pointe vers le ciel. L'ensemble de Banh It est considéré comme le plus beau témoignage de l'âge d'or cham dans la région.
Érigées à la fin du 12ème siècle, ces trois tours sont situées dans le district de Tay Son, à un peu moins de 50 km de Quy Nhon. Construites en briques et en pierres, elles arborent de ravissantes sculptures d’aigles, d’éléphants et de l’oiseau mythique Garuda, alors que les angles sont marqués par de grosses pierres aux sculptures élaborées. On y verra aussi des scènes de chants et de danses. Comme il se doit, le groupe se compose de 3 tours : une tour centrale flanquée au Sud et au Nord de deux tours plus petites. Avec ses presque 40 m, la tour centrale – appelée Giua - est la plus haute des tours cham qui restent encore au Vietnam. La tour Sud est ceinte d’une remarquable frise représentant Gajashimha (animal fabuleux ayant une tête de lion sur un corps d'éléphant). Celle au Nord, très endommagée, présente une série de motifs en arc, dont chacun est formé de deux têtes de serpent, avec en son milieu la silhouette d’une personne assise. L’ensemble de Duong Long a été classé relique d'art et d'architecture en 1980 et monument national spécial en décembre 2015.
Également connue sous le nom de tour Thoc Loc, Phuc Loc est située sur la commune de Nhon Thanh, à 35 km au nord de Quy Nhon. Solitaire et se dressant comme une sorte de phare surplombant la plaine, elle offre un point de vue remarquable sur le paysage alentour.
La tour Canh Tien, ou tour des Filles, est quant à elle, érigée sur une colline du district d’An Nhon, à un peu plus de 20 km au nord-ouest de Quy Nhon. Construite au 12ème siècle, elle se distingue par une magnifique architecture, aux motifs décoratifs méticuleusement sculptés. Elle fait partie de l'ancienne citadelle de Do Ban (ou Cha Ban), une citadelle construite sous le règne du roi Yangpuku Vijaya à la fin du 10ème siècle (Canh Tien ne sera érige que plus tard, sous Jaya Sinbavarman III). Et enfin, les tours de Binh Lam et Hon Chuong finissent de ponctuer de leur massive élégance les terres de Binh Dinh.
Sans être féru d’histoire, les vestiges cham interpellent le voyageur par leur fascinante beauté et cette espèce de nostalgie qui les baigne, une expérience à vivre lors d’un voyage au Vietnam sur mesure !