Bùi Van Nam écrivait : «Le vin est le compagnon des poètes, le café celui des philosophes». Or force est de constater, dès l’arrivée à Hanoi, la ribambelle de cafés aux façades souvent superbement décorées et aux intérieurs particulièrement soignés, signe d’une certaine philosophie de la vie ; une vie qui ne se conçoit pas sans café…
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Le saviez-vous ? Café vient de K'hawa – qui signifie revigorant, en arabe. C’est donc une longue route qu’a dû suivre le café pour arriver au Vietnam, depuis l’Ethiopie, sa terre de naissance, pour dans un premier temps faire halte au Yémen aux environs du 14ème siècle de notre ère. Apprécié pour ses effets stimulants, le café va par la suite conquérir la Mecque, le Caire puis Constantinople (Istanbul) – qui verra l’ouverture de sa première maison de café, Kiva Han, en 1475 - pour finalement arriver en Europe courant du 17ème. A partir de là, les Européens exporteront les plants vers les contrées plus tropicales de leurs colonies respectives, espérant cultiver le précieux arbuste dans de meilleures conditions. Le café traverse l'Atlantique en 1689 avec l'ouverture du premier établissement à Boston. La boisson gagne en popularité et obtient le rang de boisson nationale après que les rebelles jettent à la mer le thé surtaxé par la couronne britannique au cours de la Boston Tea Party.
Ce sont les Français qui, dans les années 1800, apporteront le café au Vietnam. Rappelons qu’à l’époque le Vietnam fait partie de l’Indochine française, avec le Cambodge et le Laos. Le Robusta fera une percée remarquée dès 1857, si l’on en croit les archives. Plus tard, dans les années 1930, le pouvoir colonial diversifiera ses plantations en cultivant de l’Excelsa dans le Nord du Pays et du Robusta dans l’Est. Le café ainsi obtenu était exporté vers la France sous la marque Arabica du Tonkin (café Tonkin Arabica). Cependant, les années 1940 voient l’arrivée du Front pour l’Indépendance du Viet Nam (le Viet Minh) et sa révolte contre le pouvoir en place, ce qui provoquera la fuite des planteurs de café, qui laisseront ainsi leurs plantations à l’abandon. Le Vietnam est ensuite le théâtre sanglant des combats contre les Américains, un terrible théâtre mettant également en scène le bloc soviétique. De cette situation complexe et douloureuse naitra – entre autres – la collectivisation des terres, les plantations de café se retrouvant de fait sous le régime des fermes d’Etat. Vets le milieu des années 1970, on voit des projets de développement du café en dehors de ces structures, poussant des milliers de familles à quitter les plaines pour s’installer sur les Hauts plateaux du Centre du Pays – notamment dans la Province de Dak Lak – et tenter leur chance dans la culture des caféiers. Ce qui, par ailleurs, ne s’est pas fait sans nuire aux communautés locales. Les années 1986/1990 sont une étape majeure pour le Pays, en particulier son économie : les autorités lancent la politique du Doi Moi – le Renouveau – fortement inspirée par l’économie de marché. Le potentiel du café devient alors particulièrement visible, le gouvernement booste la production de Robusta et incite à développer la culture de l’Arabica, dans le Nord du Vietnam.
Le Pays aux deux Deltas est aujourd’hui le deuxième producteur mondial de Robusta, et les villes du Vietnam offrent pléthore de café-philo, café-lectures, café-samedi et autres café-idées, perpétuant ainsi la tradition de convivialité, d'échanges et de créativité des maisons de café originales.
L’Arabica occupe environ 6% de la surface des plantations de caféiers, le reste se partageant entre les plants d’Excelsa et de Liberia. Et enfin, signalons que ce sont les provinces de Bien Hoa, Lam Dong et Dong Nai dans les hautes terres, qui produisent environ 80% de tout le café cultivé au Vietnam.
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Comme dit plus haut, le Robusta a, depuis les débuts de l’histoire du café au Vietnam, eu la préférence des planteurs. Cependant, c'est un Robusta de caractère, qui développe des arômes et des saveurs très particulières, selon la région où il est cultivé. Il est communément admis que les meilleurs Robusta sont issus des Hauts-Plateaux du Centre-Vietnam (Tay Nguyen) : l'altitude et la météo sont les deux bonnes fées qui veillent sur des saveurs plus nuancées qu'habituellement pour un Robusta, avec des arômes de chocolat noir et de noisettes.
Tout aussi logiquement, l'Arabica arrive en deuxième position dans la liste des caféiers cultivés au Vietnam. En particulier la sous-espèce d’Arabica dite Catimor. Issu d'un grain hybride Cattura-Timor, il a la préférence de nombreux cultivateurs (mais a un gout un peu passe-partout). D'autres ont fait le choix d'une culture aussi marginale que savoureuse, avec des caféiers de type Bourbon Jaune ou Typica. Appréciées dans les années 80, ces variétés avaient été délaissées au profit de plants à meilleur rendement. Remis au gout du jour par une jeune génération assez audacieuse, on trouvera dans ces Arabica de surprenantes et agréables notes citronnées et fruitées.
Plus rarement appelé "Café de jacquier" (A cause de la forme de ses feuilles), ce caféier ne brille pas par sa saveur, plutôt acidulée et aigre-douce. En fait, on l'utilise comme coupe-vent dans les plantations…Mais on trouve cependant certaines boutiques proposant du "ca phe cherry". Une curiosité à découvrir, pourquoi pas.
Plutôt confidentiel, ce café a un seul petit grain (les caféiers font deux grains, normalement), rond, lequel contient une dose conséquente de caféine, supérieure à celle du Robusta. Le Culi, ou café Loris, exhale un gout puissant, amer et fort. On le mélange volontiers à du Robusta et de l'Arabica pour composer des saveurs subtiles, au caractère affirmé. Une production elle aussi est très confidentielle (entre 2 et 4% de la production totale) ajoutée à cette saveur réellement unique, en font un café très recherché par les amateurs de révolution de palais...
Le ca phe chon est torréfié... dans l'estomac d'une civette, adorable bestiole qui raffole des fruits du caféier mais est incapable de les digérer. Ce qui fait qu'une fois les enzymes ayant fait leur travail d'enzyme dans l'estomac de ladite bestiole, les grains seront évacués par voies naturelles. Ce procédé pour le moins surprenant produit un café au gout exceptionnel, doux, riche et élégant… Et au cout prohibitif. D’ailleurs si vous en trouvez sur les marchés à prix « décent », attendez-vous à ce que ce soit des arômes de synthèse… Ce qui réjouit dame civette, martyrisée dans sa cage pour faire caca. Dans le même esprit, vous avez également, du côté des Hauts-Plateaux du Centre, du café éléphant.
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Amer, fort et puissant, vous pouvez compter sur lui pour vous réveiller le matin (ou à toute autre heure de votre convenance, on n’est pas là pour juger). Novices s’abstenir.
Existe en version chaude – ca phe nong - ou froide, ca phe da. Si vous êtes un vrai féru de café (force et honneur sur vous), demandez « khong duong » (sans sucre) ou « it duong » (une touche de sucre).
Le même que ci-dessus, mais adouci de lait concentre sucré. Le résultat est chaleureux dans les couleurs et dans les saveurs, onctueux et crémeux. Ne vous attendez cependant pas a ce que l’amertume se dilue dans le lait… Ou alors rajoutez plein de galce pillee (pour la version froide), ou passez au Bac Xiu. Existe en version chaude – ca phe nong - ou froide, ca phe da.
Donc on est ici sur une base de café au lait, mais dans la proportion : plus de lait concentré que de café, comme son étymologie chinoise nous l’indique : « Bac Xiu » signifie « blanc et peu ». Sans surprise, c’est très… sucré. Amateurs de café s’abstenir. Mais rien ne vous empêche d’être curieux… En parlant de curiosité, la naissance de ce café mérite une parenthèse : toujours pendant l’époque coloniale et à cause de, le lait était rare et cher. Les riches avaient certes le lait concentré sucré, tout aussi cher, voire plus, que le lait frais. Mais même l’élite peut, parfois, manquer de moyens et une partie donc de buveurs de lait cherchait à diluer le lait concentre en même temps que son prix. Ils ont essayé l’eau… Avec des résultats peu convaincants côté gustatif. Un jour, quelqu’un a rajouté un trait de café. Il venait, sans le savoir, d’inventer le Ca Phe Bac Xiu.
Le café signature de Hanoi ! Si l’apposition des deux mots peut faire peur, le gout qui en résulte rassure pleinement. Flashback :
Fin des années 1940 - sous les Français, donc - le Vietnam connait une pénurie de lait frais. Pour satisfaire une clientèle boudeuse et désespérée de ne pouvoir siroter son café au lait, M. Nguyen Van Giang, de son état barista de l’hôtel Sofitel Legend Métropole à Hanoi, a l’idée de remplacer le lait, par ailleurs couteux, par un œuf battu et un peu de lait concentré sucré. Une « Legend » était née…
Le contraste entre la couche amère et corsée du café noir avec, par-dessus, la couche mousseuse de la crème aux œufs battus au sucre, est étonnant… mais définitivement gourmand ! La plupart du temps, le café dans son bock est présenté dans un petit bol d’eau chaude afin de prendre le temps de le déguster à la petite cuillère. Addictif.
Ca phe muoi – Le café au sel
Encore une union improbable voire contre-nature, pour certains !
Spécialité de la cité impériale de Hue, il s’agit d’un café au lait fermenté légèrement salé et fouetté, pour en rehausser subtilement la saveur. Ce breuvage étonnant par son arrière-gout frais ne se déguste (presque) qu’à Hue, depuis moins de 10 ans. Une création récente, qui ne manque pas de surprendre.
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Il fallait oser… Un café très sucré avec, en fin de bouche, une agréable saveur de noix de coco.
La recette est simple : mélanger de la crème glacée à de la noix de coco, ajouter un peu de lait condensé puis une puissante infusion de café noir vietnamien. Et vous obtenez un breuvage se situant à mi-distance entre le café et le milkshake. Se customise en le buvant chaud, froid, ou avec de la crème…
Un héritage français – le yaourt - détourné avec gourmandise.
Le café au yaourt se déguste à la petite cuillère ou servi dans un verre épais avec une paille et des glaçons. Ideal à boire pendant les mois chauds, Sua chua donne le meilleur de lui-même s’il se trouve en compagnie d’un trait de lait de coco ou de jus de citron et des glaçons en pagaille. Rafraichissant, healthy et complètement addictif.
A ranger plutôt au rayon des smoothies, cette boisson branchée se trouve absolument partout (aussi bien dans la rue auprès des vendeurs ambulants qu’en salle) et se décline (presque) à l’infini.
Classiquement, cette délicieuse dose de caféine enrichie de vitamines est un combo de café plus banane ou avocat. Le Vietnam offrant une multitude fruits tous plus délicieux les uns que les autres, vous trouverez des Sinh to à la mangue, papaye, ananas, fraise et même aux graines de chia avec des dattes et du beurre d’amande (une tuerie !)…
En dehors du café soluble, par ailleurs très présent au Vietnam, de plus en plus de franchises internationales intègrent l’arabica vietnamien a leurs produits, notamment Starbucks, The coffee Bean ou encore Tea Leaf, pour ne citer que ces trois. Cependant, des marques locales, comme Vinacafe ou Trung Nguyen, particulièrement dynamiques sur le marché intérieur, s’exportent également de plus en plus.
Le marché intérieur du café est réparti entre trois marques, avec Vinacafe en tête, suivi par Nestcafe et G7 de Trung Nguyen. D'autres marques moins connues ont également tenté de diversifier leurs produits pour tenter de se partager ce qui reste du marché : pour mémoire Ang Giang ou encore Dakman. Quant à Cafe Mai, il représente depuis 1936 le café traditionnel vietnamien dans la bonne ville de Hanoi, tandis que Cong Ca Phe seduit les jeunes avec son ambiance vintage et son ca phe dua.
Vinacafe est une société détenue par l’État vietnamien. Elle est spécialisée dans la production, la transformation et la distribution de café et les mélanges de céréales instantanées. Créée en 1969 par l'ingénieur français Marcel Coronel, l'entreprise a été remise à l'État lorsque celui-ci et sa famille ont quitté le pays à la fin de la guerre.
Trung Nguyên est sans aucun doute LE nom du café au Vietnam. Spécialisée dans la production, la transformation et la distribution de café, la marque est détenue par un groupe vietnamien créé en 1996 par Dang Lê Nguyên Vu. Les produits Trung Nguyen sont exportés dans une soixantaine de pays et territoires.
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Au : 13 Dinh Tien Hoang
Installé depuis plus de 30 ans face au lac Hoan Kiem, Dinh Cafe perpétue la tradition du ca phe phin, du café filtre. Il est réputé pour son café à l’œuf.
Au : 27, Trieu Viet Vuong
Au Ca phe Thai, depuis plus de 80 ans, on sélectionne soigneusement le café en provenance de trois régions du Vietnam : Dien Bien, Phu Quy et Buon Ho. Il y est d’ailleurs torréfié de façon traditionnelle secrète. Des saveurs authentiques et des arômes profonds.
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Au : 330, Phan Dinh Phung
Niché dans une ruelle de Saigon, ce café confidentiel a ses habitués, amateurs inconditionnels du café préparé à la « chaussette », comprenez une passoire profonde faisant office de filtre, qui accueillera le café moulu. Le tout sera plongé dans une bouilloire, mélangé puis laissé à reposer une dizaine de minutes avant lente dégustation… Un art de faire, un art de vivre.
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