Ville capitale, Hanoi est aussi la Mecque d’une gastronomie de réputation mondiale, dont le Banh Mi, le Pho et le Bun Cha sont les ambassadeurs les plus connus. Cependant, depuis plus d’un siècle, une autre spécialité fait les délices des gourmands et des gourmets : le Cha Ca, plus précisément le Cha Ca La Vong. On vous dit tout sur ce plat à base de poisson…
Une table accueillant le Cha Ca et son accompagnement - Source : tourism-hanoi
Cha Ca La Vong, un peu d’histoire
Cha Ca désigne un plat à base de poisson. Mais Cha Ca La Vong, c’est bien plus que cela… C’est tout une histoire…
Nous sommes pendant la période coloniale française. A cette époque vivait un certain Hoang Hoa Tham, seigneur féodal de Yen The, mais aussi – ce qui était nettement plus problématique pour les colons – chef de l’insurrection de Yen The et farouche opposant au régime français au Tonkin pendant une trentaine d’année. Pour mémoire, l’insurrection de Yen The a duré de 1887 à 1913, donnant à en découdre à Joseph Gallieni, notamment en 1890-91. Sous le nom de De Tham, Hoang Hoa Tham et sa bande attaquent le chemin de fer, s’emparent du train et négocient une rançon en échange d’un fonctionnaire du coin qui avait eu le mauvais karma d’être dans les parages à ce moment-là. Ce coup d’éclat lui restera comme une aura.
C’est aussi à cette époque que rue Son – Hang Son à Ha Noi – au numéro 14, vivait une famille du nom de Doan. Cette famille n’avait guère gout pour le pouvoir français en place et se faisait un plaisir d’accueillir voire héberger le sieur De Tham, insurgé de son état, et sa bande. Il se trouve que la maitresse de maison était également une cuisinière talentueuse, qui n’avait pas d’égale pour confectionner de délicieuses galettes de poisson, qu’on appelle ici Cha Ca. Elles étaient si délicieuses que le ci-devant sieur De Tham ne tarissait pas d’éloges, jusqu’à décider notre cuisinière d’ouvrir un restaurant de Cha Ca, aidée en cela par les insurgés reconnaissants.
Arrivé à ce point du récit, peut-être vous demandez-vous pourquoi La Vong est-il accolé à Cha Ca ? Il faut, pour le savoir, remonter au 12eme siècle avant J.-C., aux temps du règne du roi Thuan, sous la dynastie Xia. A cette époque vivait un certain Khuong Thuong, plus connu sous le nom de Khuong Tu Nha. Ses ancêtres ayant servi généraux et ministres sous la dynastie Shang, ils ont pris le nom de Khuong. Ce qui a fait que les gens ont pris l’habitude de le surnommer La Vong. Bien entendu, une légende entoure notre bonhomme, pour que son nom passe ainsi à la postérité… Cette période était une période de troubles, la dynastie Yin Shang était sur son déclin, empruntant la piste glissante de la décadence. Voyant cela, La Vong, abandonne son poste de fonctionnaire et part vivre dans un endroit isolé dans la forêt profonde et les hautes montagnes. On raconte qu’il passait ses journées à pêcher, attendant son heure d'établir une grande carrière. Les années ont passé… La Vong est devenu dans l’imaginaire des villageois un monstre ou un saint, c’était selon. Pour écourter cette longue histoire, sachez que La Vong sera reconnu pour sa sagesse et son autorité. Il reste de lui la silhouette de ce pêcheur qui n’a pas besoin d’appât pour attraper du poisson, se contentant que le poisson vienne de lui-même mordre à l’hameçon. Le rapport avec nos galettes de poisson de la rue Son est qu’une statue de La Vong trônait dans le restaurant. C’est pourquoi les convives ont fini par appeler l’endroit Cha Ca La Vong. La statue existe toujours, d’ailleurs, représentant Khuong Tu Nha assis, les genoux pliés et pêchant …
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Si cette mise en bouche vous a donné faim de tout savoir sur le Cha Ca, il est temps de passer à la suite !
C'est le curcuma qui donne cette teinte dorée au Cha Ca - Source : internet
La base de ce plat est le poisson. Mais pas n’importe lequel. Du poisson-chat. Mais pas n’importe lequel. Du poisson-chat provenant de la rivière Da. Parce qu’il a la courtoisie de présenter peu d’arêtes et de se faire à la fois croustillant et moelleux après cuisson. Il est aussi bien plus parfumé que les autres poissons. Idéalement – comme autrefois la maison Doan – on partira sur une truite (poisson Anh Vu, en vietnamien) qui aura pris du bon temps à Viet Tri ou à Phu Tho, avant de s’inviter en cuisine. Mais ce poisson est saisonnier, extrêmement rare et donc très cher. Fermons les yeux sur ceux qui cuisinent le Cha Ca avec de flétan de Hoa Binh, force est de reconnaitre que les saveurs et les textures sont au rendez-vous.
Ensuite, vient la marinade, une des clefs d’un Cha Ca digne de ce nom. La chair est tranchée assez finement puis mise à mariner dans un savant mélange de galanga, de sésame, de sauce de poisson, de curcuma, de poivre, de... On ne vous dit pas tout à fait tout : la recette est secrète… Comptez un minimum de deux heures de marinade, avant de pincer le poisson dans une baguette de bambou et le faire griller au poêle à charbon de bois.
Vient maintenant la partie la plus délicieuses de cet article :
Le Cha Ca, spécialité de Ha Noi - Source : explorepartsunknown
Comment se déguste le Cha Ca ?
Le Cha Ca demande une deuxième cuisson (Merci Madame Doan !), en faisant glisser les bouchées de poisson grillé dans une poêle huilée et très chaude. On aura pris soin de garnir la table des légumes d’accompagnement : aneth et oignons verts.
On sert le Cha Ca avec des galettes de riz croustillantes au sésame, des vermicelles, des cacahuètes grillées, coriandre, basilic, aneth et oignons frais hachés.
Lorsque le poisson et les herbes sont cuits, happez avec vos baguettes et déposez dans un bol contenant des vermicelles. Parsemez de cacahuètes grillées, déposez quelques légumes et, toujours à l’aide votre paire de baguettes, plongez une bouchée d’un peu de ce tout dans une coupelle de Ma Tom, raffinement suprême. Et très odorant. En cause, la composition de la trempette en question, à base de pâte de crevettes fermentée, étendue d’un trait de jus de citron. On mélange vigoureusement de la pointe des baguettes jusqu’à obtenir une consistance onctueuse et légèrement mousseuse. Du pur bonheur. Beaucoup d’Occidentaux cependant plissent le nez devant une coupelle de Mam Tom. Pour eux, on leur proposera de la sauce de poisson à la place. Attention à ne pas trop cuire les bouchées de poisson ! A la dégustation, les gouts et les saveurs explosent en bouche, les textures viennent s’enquérir si tout se passe bien. Oui, tout se passe parfaitement bien. On peut reprendre une bouchée… et ainsi de suite… On ne s’arrêterait plus de manger tellement le plaisir de la dégustation, dans l’odeur d’aneth et le grésillement du poisson, est proche du divin.
Devant le succès du Cha Ca La Vong, la rue a été rebaptisée de Hang Son en Hang Cha Ca, créant un lieu à la fois gourmand et attractif. Les Hanoïens mais aussi les touristes s’y pressent. Et tombent sous le charme…
Méfiez-vous des imitations (comme ce Cha Ca La Song…) et régalez-vous de ce plat né du savoir-faire d’une cuisinière talentueuse et créative et d’une bande d’insurgés au ventre reconnaissant…
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